« Les miroirs de Compostelle » Enfin seul !
4e de couverture :
Je voulais partir. Respirer l’air chaud de l’été, renifler l’odeur de la pluie, transpirer par tous les pores de ma peau, me confronter à l’orage et voir les couleurs d’automne surgir sous mes yeux.
Partir.
J’avais 41 ans. Ce devait être octobre ou novembre, l’automne en tout cas, quand ma décision tomba. Irrévocable.
J’irai marcher. Trois mois.
Il ne me restait qu’à choisir une destination.
[…]
Ce ne sont pas les idées qui manquaient.
Mario m’avait interrompu, avec son léger accent sud-américain :
« Pourquoi tou vas pas à Saint-Chacques-dé-Compostelle ?
– Ça va pas, non ! Pour marcher avec tous ces cons ?, j’avais répondu. »
[…]
Et quand Mario avait ajouté, avec sa chaleur latine, « Si tou vas à Compostelle, ché té réchoins pour la dessième partie, en Espagne. », cela m’avait définitivement emporté.
J’irai à Compostelle.
Avec tous ces cons.
Extrait :
En début d’après-midi, je traverse en sifflotant le village médiéval de Marols tout en pierres trop bien soignées. Il doit faire bon vivre ici, trop bon vivre. La pluie a cessé de tomber, ma cape est dans le sac, le chemin est détrempé, mes chaussures sont boueuses.
J’avais prévu de réserver mes hébergements au fur et à mesure, jusqu’au Puy-en-Velay en tout cas. À midi, je suis allé dans une cabine téléphonique, me prouvant par la même occasion que je n’ai pas besoin de portable… mais de téléphoner quand même ! J’ai trouvé sur Internet une adresse avec le gîte et le couvert à Apinac. Ça s’appelle le « Centre d’accueil ».
C’est un grand bâtiment sur la route principale. Il fait soleil à nouveau quand le directeur me reçoit au milieu de ses papiers. Il est en train de diriger une colonie de vacances, si je comprends bien. Et il est censé accueillir également les quelques pèlerins de passage. Tendu, visiblement dépassé par trop de responsabilités, il prend sur son temps précieux pour m’amener chez lui, en quatrième vitesse. Je sens que je l’agace avec mon Saint-Jacques-de-Compostelle. Je ne saisis pas tout, mais il a l’air obligé de m’amener chez lui. Il n’y a pas d’autre solution pour dormir ici.
Au moins je dispose d’une chambre et d’une douche aménagées dans un coin du garage. Tranquille. Après m’être lavé, je retourne au Centre d’accueil où l’on m’attend pour le dîner. Sans doute vais-je le partager avec l’équipe d’animation et les enfants de la colo. Une joie. Mais les dames de service me reçoivent froidement. L’une d’elles m’installe immédiatement dans une petite pièce sinistre, attenante à la cuisine… et claque la porte derrière elle !
Désarçonné, j’attends.
Je suis seul.
À cet instant, cela ne m’amuse pas du tout. Deux minutes plus tard, la porte s’ouvre : la cuisinière, la même, vient me poser l’entrée sur la table, ressort aussitôt, claque la porte ! Plus fort que la première fois. Je sursaute.
Je mange.
J’attends.
Des bruits de vaisselle me parviennent de la cuisine. À travers les rideaux du cagibi dans lequel je me trouve, je distingue les enfants et les animateurs de la colo, en train de s’installer sur de grandes tables, dans la cour de l’établissement.
Ils rigolent.
On me laisse attendre plusieurs minutes. Une éternité. La porte s’ouvre brusquement. La cuisinière revient. La cuisinière pose le plat principal. J’ai à peine le temps d’apercevoir quelques casseroles dans la cuisine. Elle ressort en vitesse, la cuisinière. Un coup sec. Elle claque bien, maintenant, la porte. Elle a pris le coup de main, la cuisinière !
J’ai envie de pleurer.
Je réprime la rage qui commence à monter. J’ai envie de leur dire : « Mais arrêtez d’être cons, laissez-moi manger avec tout le monde. »
Je me tais.
Je viens de comprendre. On cherche à me cacher ! C’est le règlement des colos : pas d’invité extérieur, à moins de le signaler aux autorités et de remplir des tonnes dissuasives de documents administratifs. Après une journée en solitaire sur les chemins, je voulais discuter.
Raté !
Dehors, la colo dîne au soleil couchant.
Moi, je mâche ma pomme au four. J’ai l’impression d’être puni.